Article dans L’Alsace : Arnaud Montebourg : « La législation sur les faillites doit mieux tenir compte des enjeux économiques, sociaux et territoriaux » Alsace 22/10 – 03:00 | Par Christian Lienhardt

Les anciens ouvriers, l’industriel candidat à la reprise et même les élus de la droite alsacienne vous ont appelé à la rescousse pour sauver Virtuose. Mais n’est-il pas trop tard ?

Dans cette affaire, mon rôle est celui d’un conciliateur, d’un modérateur. Il y a certes une situation juridique donnée, un processus de liquidation qui a été engagé. Mais on ne peut pas ignorer qu’il y a aussi un outil industriel à préserver, des emplois à sauver. Et, de plus, il y a un projet industriel solide, auquel je crois et qui est porté par un authentique industriel qui a fait ses preuves, qui a sauvé d’autres entreprises dans le textile, comme Velcorex à Saint-Amarin. A l’époque, il s’était engagé à titre personnel, avait hypothéqué sa maison parce qu’il croyait qu’un redémarrage de ce fleuron du velours était encore ­possible. Velcorex fait aujourd’hui 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, 1,2 million de bénéfice et emploie 66 personnes. Autant dire qu’on avait liquidé une entreprise qui s’est révélée viable.

Est-ce à dire, dans le cas de Virtuose, qu’il y aurait eu un traitement « aveugle » du dossier par la justice commerciale ?

Pas de polémique. Tout en respectant la décision du tribunal, j’ai appelé la semaine passée à cesser immédiatement ce gâchis économique et social. Cette liquidation n’avait, en effet, aucun sens et elle coûte très cher à la collectivité. J’attends désormais un changement de comportement du liquidateur judiciaire et je l’encourage à choisir la vente de gré à gré plutôt que les enchères. Évidemment, il est toujours plus facile de liquider une entreprise, de vendre ses actifs, que de rebâtir, de mettre sur pied et de soutenir une vraie solution de reprise. Nous devons convaincre ceux qui nous ont conduits dans cette impasse de nous en sortir. Je demande donc aux auxiliaires de justice d’écouter un peu plus leur gouvernement.

Les anciens salariés ont repris confiance. Comment ne pas les décevoir ?

En agissant vite et efficacement. Je veux que cette affaire soit réglée très vite et que toutes les parties se remettent autour d’une table pour dégager une solution acceptable. Il est grand temps de trouver un compromis pour désintéresser au mieux les créanciers, tout en remettant l’usine sur les rails et en sauvant des emplois. Lors de ma venue sur le site, j’ai demandé au préfet du Haut-Rhin et au commissaire au redressement productif, Jacques Muller, de faire en sorte que cette entreprise puisse redémarrer très rapidement.

Mais concrètement, après une liquidation judiciaire confirmée en appel, comment encore faire marche arrière aujourd’hui ?

L’industriel a réuni les fonds nécessaires pour que les créanciers puissent être désintéressés, du moins en partie. Je note que les principaux créanciers sont l’Urssaf et les AGS, des organismes d’assurance et d’indemnisation du chômage. Leur intérêt n’est pas d’empêcher les entreprises, leurs cotisants, à s’en sortir. Et ces créanciers savent bien qu’on ne peut pas céder les machines au repreneur à un prix trop élevé, au risque de plomber tout le processus de redémarrage. Bref, évitons les positions extrêmes, il faut que tous fassent un effort.

Mais lorsque le passif dépasse déjà les 12 millions, faut-il vraiment s’acharner ?

Oui. Et ce n’est pas parce qu’elle a connu des difficultés qu’il faut pour autant l’enterrer, et avec elle tout un pan de la filière textile. Ce n’est pas au liquidateur de décider de l’avenir d’un secteur économique. Et à ce propos, je peux vous annoncer qu’un projet est en cours de discussion avec la chancellerie pour introduire dans la législation sur les faillites un certain nombre de dispositions pour mieux tenir compte des enjeux économiques, sociaux et territoriaux, mais aussi pour revoir la logique de rémunération des mandataires.

On n’en est plus à défendre les hauts-fourneaux de Florange. Pourquoi cet engagement personnel pour Virtuose ?

Ce n’est pas un combat symbolique, non il est stratégique. Voilà une PME qui employait une centaine de salariés en début d’année et qui dispose d’un savoir-faire unique dans le tissage, savoir-faire qui disparaîtra à jamais si on ne met pas le holà. La vente aux enchères de machines textiles aurait servi à alimenter une concurrence déloyale hors du territoire national, ce qui est inacceptable. La filière textile a souffert de la mondialisation, c’est vrai, mais il faut rebâtir sur ce qui reste, en maintenant l’outil industriel. Les machines à tisser de Virtuose doivent tourner ici. De plus, cette affaire est celle de toute l’Alsace, de toute une région, de toute la filière textile, ce qui explique d’ailleurs l’extraordinaire mobilisation sur le terrain, tant des milieux politiques, économiques que sociaux, autour du projet de reprise de Pierre ­Schmitt. Et si ça marche, l’entreprise va réembaucher et créer des emplois.

Envoyé spécial

Par CHRISTIAN LIENHARDT

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