Intervention de Patricia Schillinger, rapporteure du projet de loi d’interdiction du Bisphénol A

Intervention en séance de Patricia Schillinger, rapporteure, sur la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A

Monsieur le Président, Madame la ministre, Madame la Présidente de la commission, Mes chers collègues,

La France, comme l’ensemble des pays occidentaux, est confrontée à une augmentation inquiétante de certaines maladies ou épidémies, que ce soient les cancers, le diabète, l’obésité ou encore la dégradation de la fertilité. Or, ni le vieillissement de la population, ni l’amélioration du dépistage ne suffisent à expliquer à eux seuls ces phénomènes.

Ce constat est relativement partagé, mais les causalités restent largement débattues au sein de la communauté scientifique. On peut tout de même affirmer que de multiples facteurs environnementaux jouent un rôle majeur dans cette évolution préoccupante.

Parmi ces facteurs, il existe un relatif consensus pour mettre en cause les perturbateurs endocriniens, substances étrangères à l’organisme susceptibles de bouleverser le système hormonal qui est essentiel pour la reproduction, le métabolisme ou le comportement. La science n’apporte pas encore de réponses précises et entièrement partagées à ce sujet, notamment sur les mécanismes qui sont à l’œuvre. Qui plus est, cette famille de substances est large et hétérogène et leurs effets et modalités d’action sont très divers.

Se pose alors la question de savoir à partir de quel moment les données scientifiques doivent être suffisamment certaines pour qu’une décision de santé publique soit adoptée. Telle est précisément la question centrale du principe de précaution, que la France – je le rappelle – a inscrit dans sa Constitution.

L’un de ces perturbateurs, le bisphénol A, a fait l’objet de nombreuses études depuis plusieurs années ; elles ont été synthétisées par l’Inserm et par l’Anses en 2011. Les expertises de ces deux organismes permettent de faire l’état des lieux des données actuellement disponibles.

On peut en tirer les conclusions suivantes qui peuvent servir de prémisses pour préparer notre décision :

  •   la toxicité du BPA est avérée pour l’écosystème et pour l’animal ; elle est suspectée chez l’être humain ;
  •   l’alimentation constitue la source principale d’exposition ;
  •   la période de la gestation est critique et constitue, comme celle du début de la vie, une phase de vulnérabilité particulière ;
  •   enfin, le BPA ne répond pas à l’approche toxicologique classique selon laquelle la dose ferait le poison. Des effets nocifs sont, en effet, susceptibles de survenir à faible dose, en deçà des « doses journalières tolérables » définies par les réglementations, qui restent basées sur le principe du lien entre la dose et l’effet. On peut également citer les « effets cocktail » en cas de mélange de plusieurs substances, les « effets fenêtre » selon la période de la vie et les effets transgénérationnels du BPA, c’est-à-dire sa capacité à produire des effets sur la descendance.

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’examen par le Sénat de la proposition de loi adoptée il y a un an à l’Assemblée nationale à la quasi-unanimité.

Après un débat riche, notre commission a approuvé la démarche progressive et ciblée de ce texte et je résumerai ainsi notre approche, qui se situe en cohérence avec celle de l’Assemblée nationale :

  •   suspendre, dès le 1er janvier prochain, la commercialisation des conditionnements alimentaires avec du BPA destinés aux nourrissons et enfants jusqu’à trois ans ;
  •   étiqueter les conditionnements alimentaires comportant du BPA pour les déconseiller aux femmes enceintes et aux enfants de moins de trois ans. Notre commission a ajouté les femmes allaitantes dans cet avertissement sanitaire ;
  •   à terme, suspendre l’ensemble des conditionnements alimentaires comportant du BPA. Sur ma proposition, la commission a ajouté une habilitation pour les agents de la répression des fraudes à contrôler les produits et à constater les éventuelles infractions.

Nous avons eu en commission – et nous l’aurons ici naturellement – un débat sur la date appropriée pour cesser d’utiliser le BPA dans les conditionnements alimentaires.

Avant de présenter mes propres arguments, je souhaiterais d’abord me réjouir du fait qu’en débattant sur ce point de chronologie, nous acceptions ensemble le principe même de la fin programmée de l’utilisation du BPA dans les conditionnements alimentaires. C’est un premier acquis essentiel, qui n’était pas nécessairement évident au départ ! Je crois qu’il faut le souligner car c’est le message principal de cette proposition de loi. Message à destination des consommateurs mais aussi de l’ensemble de l’opinion européenne et internationale. Nos collègues de l’Assemblée nationale avaient prévu un délai de deux années entre l’adoption présumée de la loi et l’entrée en vigueur de la mesure générale d’interdiction. J’ai proposé à la commission de conserver ce délai pour permettre aux chercheurs et aux industriels de s’adapter au bouleversement que constitue la fin du BPA pour l’usage alimentaire. Ce composé est en effet largement employé dans ce secteur et nous ne devons pas faire d’erreur : il ne s’agirait de l’interdire pour le remplacer par un substitut mal adapté et trop vite expertisé. Nous voyons bien, dans tous les débats actuels sur la qualité des expertises – je pense par exemple aux OGM -, la nécessité d’analyses sur une période suffisamment longue d’exposition. Pour autant, les « signaux d’alerte » mentionnés par l’Inserm et par l’Anses, dont j’ai largement fait mention dans mon rapport écrit, nous pressent ; ils sont trop précis et trop nombreux pour que nous affaiblissions notre message en reculant encore le terme de la substitution. N’oublions pas que cette mesure se conjugue, d’une part, avec la suspension quasi-immédiate du BPA pour les conditionnements alimentaires à destination des nourrissons et des enfants en bas âge et, d’autre part, avec la création d’un avertissement sanitaire. En outre, les industriels ont largement anticipé cette décision, notamment pour des raisons d’image de marque auprès des consommateurs, et ont entamé d’importantes recherches depuis plusieurs années. Depuis une semaine, j’ai lu et entendu de nombreux commentaires sur la décision de la commission de conserver ce délai de deux ans. Je souhaiterais simplement indiquer que, ce faisant, la France sera le premier pays au monde à adopter une mesure aussi générale ! C’est pourquoi je crois que le 1er janvier 2015 représente un équilibre à la fois raisonnable et volontariste. Madame la ministre, je souhaiterais vous interroger plus précisément au sujet de l’avertissement sanitaire prévu dans le texte : pouvez-vous nous fournir des indications sur le calendrier d’adoption du décret d’application et sur le format de l’étiquetage ? Envisagez-vous plutôt une phrase d’alerte ou un pictogramme, à l’image de celui déconseillant l’alcool aux femmes enceintes ? Dans les deux cas, le message doit être clair, précis et … lisible ! Par ailleurs, on peut légitimement penser que la Commission européenne et certains Etats membres ne resteront pas inertes face à la position française. D’autres Etats y seront au contraire sensibles : par exemple, le Danemark, la Suède et la Belgique ont déjà pris des mesures d’interdiction en faveur des nourrissons et des enfants en bas âge. Je crois que les dispositions que nous allons adopter entrent pleinement dans les mesures de sauvegarde qu’un Etat peut prendre selon les textes communautaires eux-mêmes. Il s’agit cependant d’en convaincre nos partenaires et il serait intéressant de les mobiliser et de les sensibiliser sur cette question, notamment les députés européens. Monsieur le Président, mes chers collègues, nous allons aujourd’hui, je l’espère, approuver le retrait progressif des conditionnements alimentaires comportant du bisphénol A. Pour autant, nous devons également nous préoccuper des autres perturbateurs endocriniens et des usages autres qu’alimentaires. Nous en discuterons à l’occasion des amendements mais je souhaiterais insister sur le nécessaire effort de recherche ; lors de la Conférence pour la transition écologique, le Premier ministre en a fait une priorité du point de vue de la santé environnementale. Je m’en réjouis. Nous devons avancer rapidement et de manière coordonnée au niveau international sur ces questions. * En conclusion, je souhaite reprendre à mon compte une phrase de la préface de l’expertise collective de l’Inserm de 2011 sur la reproduction et l’environnement : « Même si la complexité scientifique, le degré d’incertitude ou l’ignorance ne permettent pas de comprendre tous les mécanismes d’action, il ne faut pas attendre la preuve de la causalité et la compréhension de ces mécanismes pour protéger la santé des populations ». C’est dans cet esprit que j’ai abordé l’examen de la proposition de loi qui nous est soumise et j’espère que nous pourrons tous nous retrouver sur l’application du principe de précaution qu’elle prévoit.

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