Projet de loi Droit de l’Union européenne – Santé, travail et communications électroniques

Monsieur le Président, Madame le Ministre, Mes cher(e)s collègues,

Nous examinons aujourd’hui un projet de loi portant adaptation de notre législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques. Comme d’habitude, lorsqu’il s’agit d’adaptation et de transposition de directives, le Gouvernement avance l’urgence et la nécessité d’adopter au plus vite, sous peine de sanctions financières. Ainsi, du fait de l’inaction du Gouvernement, la France affiche aujourd’hui un retard important dans la transposition de directive et, comme à chaque fois, c’est dans l’urgence que l’on examine des textes fourre-tout qui nuisent à la lisibilité et à la clarté des débats.

Il s’agit donc, ici, de transposer en droit interne des transpositions de textes européens, dont la directive « Services », dite Bolkestein, très controversée, et que nous avons été nombreux à dénoncer. En effet, cette entreprise de simplification des législations nationales a surtout pour but la libéralisation et la dérégulation des services au sens large. Nous serons donc amenés à proposer la suppression de nombreux articles de ce projet de loi. Je souhaite attirer votre attention, sur la manière dont procède notre Gouvernement. Contrairement à la majorité des Etats, qui ont opté pour l’adoption d’une « loi horizontale » c’est-à-dire une loi « cadre », « globale », la France transpose cette directive européenne secteur par secteur. Parmi les très nombreuses lois qui reprennent des éléments de la directive services, on peut notamment citer la loi de modernisation de l’économie, celle sur le développement et la modernisation des services touristiques, la loi portant réforme de l’hôpital, mais aussi celle sur les réseaux consulaires, ainsi que celle sur la réforme du statut de la société privée européenne.

Le gouvernement français a donc décidé de ne pas faire une transposition globale pour ne pas relancer le débat sur la libéralisation des services dans leur ensemble. Il nous présente une transposition compliquée, quasiment illisible, ne faisant l’objet d’aucune concertation. C’est dans l’opacité que se poursuit la révision des textes nationaux. Comme l’a évoqué Hubert Haenel, dans le rapport Bizet : « Les modalités de transposition des directives posent un problème de contrôle parlementaire et donc de démocratie. »

Une loi-cadre aurait été nécessaire car la méthode retenue par le Gouvernement, qui consiste à transposer ce texte par « morceaux », constitue un déni de démocratie. On évite le grand débat et on se retrouve avec des textes fourre-tout, comme celui qui nous est présenté aujourd’hui. Il est surprenant de voir que le gouvernement ne propose aucun débat politique, ni de campagne d’information générale, alors que sont en jeu des sujets importants tels que la santé, le travail et la communication électronique. Oui, des sujets essentiels et qui nous concernent tous. Il ne faut pas oublier que cette directive inclut les services fournis aux entreprises et aux consommateurs, les services publics, les services de santé et les services sociaux.

D’une manière générale, presque toutes les directives que vous transposez sont moins protectrices pour nos concitoyens que ne l’est le droit national et ne servent pas l’intérêt général. L’Europe devrait protéger. Or on s’aperçoit que le droit communautaire s’impose, déréglemente, prive de protection les citoyens. Difficile de s’y retrouver dans ce texte. On mélange différents sujets, il est donc impossible d’avoir un débat cohérent, une vue d’ensemble. Cependant, une tendance revient régulièrement : la déréglementation dans tous les secteurs. Cette déréglementation, dont l’objectif théorique est de favoriser la concurrence sur les marchés, peut, comme vous le savez, nuire à l’intérêt général au profit de certaines entreprises, mais est surtout cause d’instabilité économique.

Dans l’article 6 de ce texte, au nom de la libre prestation de services, la transposition de la directive va créer une inégalité de traitement entre les entrepreneurs de spectacles établis en France, qui passeront toujours par un régime d’autorisation, et les entrepreneurs de spectacle européens établis hors de France, qui auront seulement à se soumettre à un régime déclaratif. On assiste, ici, à une concurrence déloyale et on introduit une inégalité de traitement. Ce n’est pas raisonnable et c’est inéquitable. Par ailleurs, la licence d’entrepreneur de spectacles sert avant tout à empêcher le travail illégal dans le spectacle vivant.

Au nom de la libre prestation de services, vous proposez dans l’article 3 de modifier le régime d’habilitation des évaluations des établissements sociaux et médico-sociaux pour permettre à des prestataires européens d’exercer de manière temporaire et occasionnelle en France. Ainsi, les organismes établis dans un autre Etat membre n’auront pas besoin de fournir une habilitation, une simple déclaration d’activité suffira. Comment peut-on être assuré que les organismes d’évaluation des autres Etats membres affichent le même degré d’exigence que la législation et la réglementation française en direction de ces publics fragiles ?

Autre exemple : en matière de « Reconnaissance des qualifications professionnelles », concernant les assistants de service social, la déréglementation assouplit, là encore, le régime de qualification. La transposition de la directive propose donc d’abaisser le niveau de qualification requis pour exercer cette profession, alors même que ce métier a beaucoup évolué et demande de plus en plus de compétence. Désormais, tout demandeur ressortissant d’un État membre, détenteur d’un titre de formation, sera dispensé de justifier de deux années d’expérience en tant qu’assistant de service social. Un certain nombre de garanties jusqu’alors exigées ne le seront plus, ce qui fait évidemment peser un risque non négligeable sur les publics pris en charge par les assistants de services sociaux. La déréglementation de cet article, ainsi que celle de l’article 2 sur les dispositifs médicaux, se fait au détriment de la sécurité des patients. D’une certaine manière, elle organise le désengagement et la déresponsabilisation de l’État.

Concernant la directive Services, on peut dire : sorti par la porte, Bolkestein revient par la fenêtre ! En effet, le principe du pays d’origine, sorti par la grande porte, revient par la fenêtre.

Force est de constater qu’il existe, aujourd’hui, un grand décalage entre la vision d’une économie intégrée pour l’Union européenne et la réalité vécue par les citoyens européens et les prestataires de services. Triste constat de voir que l’Union européenne « ultralibérale » est devenue une destructrice de la protection sociale.

Le désenchantement des citoyens à l’égard de l’Europe va croissant. Et on ne peut que les comprendre. Comment convaincre de l’intérêt de l’Europe, lorsque celle-ci, sous prétexte de garantir une meilleure concurrence, précarise les travailleurs et les entreprises. Tant que les citoyens entendront les mots déréglementation, libéralisation des marchés, restructuration, délocalisation, concurrence accrue, emplois précaires, licenciements, démantèlement des services publics, l’Union Européenne ne restera qu’une chimère.

D’ailleurs, l’OMC a fait le constat suivant : la libération totale des échanges commerciaux, n’a non seulement pas empêché la crise financière mondiale mais, bien au contraire, celle-ci semble l’avoir aggravée, en privant notamment les pays de leur protection douanière leur permettant de corriger les imperfections du marché import /export.

Les citoyens européens se désintéresseront de l’Europe tant qu’ils auront le sentiment que celle-ci ne les protège pas et que leurs droits sociaux sont menacés. Les citoyens européens ne trouvent pas leur place dans cette Europe ultra libérale. Et ce texte ne les protége pas au niveau de la santé et du travail.

Pour que cette Europe puisse être acceptée, nous devons parallèlement construise une Europe sociale, indispensable pour corriger les injustices de l’économie de marché, dont le but ultime est la recherche absolue du profit qui se fait la plupart du temps au détriment des intérêts des citoyens. Il est de notre devoir, en tant que parlementaire de protéger les citoyens.

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