DROIT LOCAL : manque de concertation et de consensus

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

Avant de commencer, je souhaiterais dire que mon collègue Roland RIES devait intervenir mardi en discussion général. Malheureusement, il n’a pas pu présenter son allocution car à 18h30 il fallait laisser la place à la « niche écologiste ». Il regrette de ne pas pouvoir être présent aujourd’hui. Je reprendrai donc une partie de son discours.

A plusieurs reprises, le droit local alsacien mosellan est revenu dans l’actualité ces dernières années. La proposition de loi que nous examinons n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’attachement qu’il suscite dans nos départements.

En préambule, je voudrais tout d’abord dire mon regret que ce texte n’ait pu être préparé dans la recherche d’un réel consensus. Notre collègue, le député Armand JUNG rappelait dans la presse locale « je n’ai pas été consulté, d’autres élus non plus ». Une concertation plus large – non partisane, sans refuge dans une « niche politique » – aurait sans doute mieux valu. Car en matière de droit local, il faut toujours une CONCERTATION.

D’autre part, la proposition semble vouloir prendre de court l’installation de la commission du droit local d’Alsace-Moselle prévue par le décret du 23 janvier 2014, article 2. Cette commission, se substituera à la commission d’harmonisation actuelle normalement dédié au droit privé. Cette nouvelle Commission a la volonté de donner une nouvelle dynamique.

Mais le débat étant introduit de la sorte, il convient à présent de le poursuivre. Ce texte modifié et adopté par la commission des lois est donc l’occasion d’une analyse sur la signification et l’avenir de ce droit local.

Nous le savons, ce droit local a été présenté après 1918 comme une mesure transitoire pour permettre aux populations d’Alsace et de Moselle de bénéficier d’une transition avant la mise en application complète du droit commun français dans les territoires rendus à la France. Ce droit cumule les dispositions les plus sensibles maintenues du droit d’avant 1870 et des mesures sociales issues de la période bismarckienne : un régime local de sécurité sociale équilibré, un droit associatif particulier, des protections et droits sociaux appréciés  comme les jours fériés, un droit budgétaire communal, et diverses dispositions organiques.

Sans reprendre les éléments historiques évoqués dans le rapport, je tiens d’abord à m’associer à la défense et à l’illustration du droit local qui est un ciment républicain pour l’Alsace Moselle. Il permet la conjugaison de spécificités historiques dont on ne niera pas la compatibilité avec l’attachement à la République française à des avancées modernes indéniables. Je n’en citerai que deux exemples : le livre foncier et le crédit mutuel. On reconnaîtra la robustesse de l’un qui satisfait tous les professionnels du droit, ceux de l’immobilier et leurs clients. Pour l’autre, le crédit mutuel, son modèle coopératif, qui en a fait progressivement le second groupe bancaire français.

Ce droit concrètement ne régresse pas. Le maintien de ce droit constitue une sorte de reconnaissance par la France de l’histoire et de la personnalité spécifique de l’Alsace et de la Moselle.

C’est cette nature complexe du droit local qui explique que presque 100 ans après le retour à la France, ce droit soit encore là. Certes, il ne représente plus qu’une part relativement faible de l’ensemble des dispositions légales applicables en Alsace et en Moselle. Mais le droit local a bien rempli son office : il a inspiré de nombreuses évolutions législatives dans les domaines les plus divers : droit des assurances, procédure civile, autonomie communale, aide sociale et sécurité sociale, etc. La modernisation de la législation générale a ainsi ouvert la voie à l’unification législative, qu’elle consiste à faire évoluer le droit local pour le rapprocher du droit national ou, au contraire, qu’elle aboutisse à aligner le droit national sur le droit local lorsque celui-ci est en avance sur celui-là.

 

On a pu observer l’attachement des populations concernées par ce droit local. Il y a déjà quelques années, mon collègue Roland RIES a consacré un chapitre de son ouvrage « L’Alsace et la gauche » à ce sujet. Il y a plaidé pour une approche progressiste de l’identité régionale. La gauche a aujourd’hui compris que le droit local fait partie de cette identité et c’est la raison pour laquelle des hommes de gauche ont joué un rôle décisif dans sa prise en compte. Je rappelle que c’est un rapport d’un député (alors) de gauche, Jean-Marie Bockel qui a lancé une réflexion qui a débouché sur la création de l’Institut du Droit Local alsacien-mosellan décrit dans le rapport de Jean-Pierre Michel.

Il est admis aujourd’hui que ce droit local n’est pas destiné à disparaître. Il doit, cependant, être géré. Ce qui veut dire qu’il doit pouvoir s’adapter à l’évolution des circonstances.

Le Conseil constitutionnel a certes estimé que cette législation ne devait pas connaître d’évolution divergente par rapport au droit général, mais il a admis cette nécessaire adaptation. Cette préoccupation d’aménagement du droit local et de son évolution dans le sens de la modernité et de l’adéquation aux besoins des usagers est clairement soutenue par la gauche.

Aujourd’hui, le droit local ne doit pas être un objet de confrontation entre la gauche et la droite. C’est pourquoi, nous aurions préféré être associés en amont à la rédaction de ce texte. La tradition de cette assemblée aurait alors été que chacun de nos groupes dépose le même texte, comme ce fût le cas encore récemment avec le texte relatif aux SEM à opération unique ou « SEM contrat ».

Il est vrai qu’il n’existe pas de cadre institutionnel communément reconnu pour réaliser cette concertation au niveau des élus. Nous proposons avec mon collègue Roland RIES, que sur la base de cette expérience, nous lancions entre parlementaires de toutes tendances et des deux assemblées une réflexion pour établir un cadre opérationnel reconnu par tous qui permette à l’avenir de garantir une meilleure concertation.

Il est vrai, par ailleurs, que l’on peut avoir un sentiment de frustration à la lecture de ce texte : en effet, il donne l’impression d’un certain fourre-tout, sans vision d’ensemble. Ce ne sont pas les sujets qui sont actuellement les plus importants pour le droit local qui sont abordés dans cette proposition. Aujourd’hui notre préoccupation porte notamment sur l’avenir du régime local d’assurance-maladie comme je l’ai souligné lors de mon rapport d’information sur le régime d’assurance maladie complémentaire d’Alsace-Moselle.

 

Je souhaite remercier le Rapporteur Jean-Pierre Michel pour l’excellent travail qu’il a effectué et les auditions qu’il a menées. Ses auditions et son rapport montrent que les dispositions proposées ne sont pas si consensuelles et qu’elles mériteraient une réflexion beaucoup plus poussée. Je rappelle qu’aucun mosellan n’a voulu co-signer cette proposition de loi alors qu’ils sont concernés. C’est pour cela que le Rapporteur vous avait d’ailleurs proposé une motion de renvoi du texte en commission, non pas pour ralentir l’examen de la proposition de loi mais, au contraire, pour l’APPROFFONDIR.

Permettez-moi maintenant de vous faire part, très brièvement, de mon sentiment concernant ces différents articles.

Si les articles 1 à 3 concernant les corporations me semblaient de prime abord intéressants, car ils permettent de trouver une solution rapide à leur problème de financement, je suis malheureusement dubitative concernant leur constitutionnalité. Il s’agit clairement de contourner la décision du Conseil constitutionnel. Et, dans ces conditions, il n’est, à mon sens, pas prudent de risquer une nouvelle censure constitutionnelle pour les corporations.

De même, la réintroduction de la taxe des riverains ne devrait pas plaire aux sages du Conseil. Je m’amuse de voir que c’est votre majorité qui l’avait supprimée en 2010, votre collègue Philippe Marini avait alors indiqué qu’« un dépoussiérage s’imposait », et que vous proposez de la réintroduire aujourd’hui. Or cet article 6 qui revient sur cette précédente abrogation ne règle pas la question du cumul avec la taxe locale d’aménagement qui avait pourtant vocation à s’y substituer.

 

En outre, l’article 8 évoque le repos dominical. Lors de ses différentes auditions, le Rapporteur a pu constater que s’il y avait un consensus des acteurs sur ce sujet c’est pour attendre la mise en œuvre de l’accord signé le 6 janvier 2014 et non pour légiférer. Cette question nécessite une certaine clarification effectivement, mais elle doit se faire avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales et je ne suis pas convaincu que la voie législative soit à ce stade la meilleure réponse à apporter aux questions sociales et économiques qui se posent.

 

Enfin, les dispositions concernant les associations coopératives, à l’article 7, me semblent bienvenues. De même que celles qui concernent l’informatisation du cadastre (article 4 et 5). Pour le partage judicaire de droit local (article 9), je pense qu’un approfondissement du dossier me parait indispensable pour y voir plus clair.

Mesdames et Messieurs, vous aurez compris que toutes les mesures proposées et surtout la procédure suivie ne suscitent pas mon enthousiasme. Mais il faut reconnaitre que l’essentiel des dispositions présentées permettent néanmoins de prendre date pour améliorer le droit local.

C’est pourquoi, pour permettre les évolutions nécessaires, les clarifications et les modernisations du droit local d’Alsace Moselle, je ne m’opposerai pas globalement à cette proposition de loi, même si je persiste à penser que la méthode choisie et l’inscription de cette proposition de loi dans une « niche politique » partisane, à 3 mois du renouvellement sénatoriale en Alsace, n’est pas la bonne.

Je vous remercie de votre attention.

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